Le BCG

La vaccination des enfants par le BCG est obligatoire en France. Quelques associations anti-vaccinales ou associations de consommateurs militent contre cette obligation. Le BCG est très largement utilisé dans de nombreux pays, mais n'est pas pratiqué ni recommandé dans d'autres (et non des moindres, les États-Unis et la Hollande, par exemple). Qu'en est-il en réalité ?

Voilà un domaine où il était très difficile de se faire une opinion il y a seulement quinze ans. D'un coté tous les experts français et tous les textes sérieux accessibles aux citoyens français ou même aux médecins étaient favorables au BCG, de l'autre coté les associations opposées aux associations peinaient à avoir quelque crédibilité. Seuls quelques journaux relayaient parfois leurs informations. Leurs adhérents ressemblaient quelque peu à des adeptes d'une croyance minoritaire persécutée.

Mais depuis lors, grâce à Internet et aux moteurs de recherche, il est facile d'avoir de l'information de provenance étrangère, et de première main (des documents canadiens sont en français, pour les autres il faut comprendre l'anglais). Je me suis limité à des documents de l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé, dépendant de l'ONU), et d'organisations gouvernementales officielles chargées de la santé, l'une canadienne (Agence de Santé Publique) et l'autre américaine, (CDC, Center for Disease Control, centre américain de surveillance des maladies). Et là, les experts et la littérature officielle émettaient des avis tout-à-fait différents de experts français. Il peut paraître étrange que la science affirme qu'une chose est blanche ici et noire ou grise de l'autre côté de la frontière, mais c'est comme ça. Le nuage de Tchernobyl nous y a habitués : la science a parfois une forte coloration nationale. Le fait que le BCG soit une découverte de médecins français et fabriqué pour une partie par une entreprise française prestigieuse n'y est pas étranger. C'est qu'en France, tous les experts de la chose sont soit des salariés de Pasteur, Mérieux et compagnie (les fabricants), soit des chercheurs de la recherche publique, fonctionnaires tenus au devoir de réserve (c'est à dire tenus de taire leur éventuel désaccord avec les théories officielles). De plus ces chercheurs sont souvent liés par des contrats de recherche avec les dits fabricants. En France, il se trouvait bien, et il se trouve toujours, quelques chercheurs ou simples médecins pour s'opposer au BCG, mais leur carrière brisée par ce simple fait leur enlèvait toute possibilité de se faire entendre. Pour des raisons faciles à comprendre, les experts ne pouvaient donc que répéter la voix de leur employeurs, pour les premiers, ou celles de leur hiérarchie, de leur porte-monnaie, et de leur plan de carrière, pour les seconds. Leurs allégations étaient donc irrecevables (on ne peut être juge et partie). Il n'y avait donc de vrais experts, c'est-à-dire indépendants du fabricant-concepteur, que hors de France.

À la lecture de documents étrangers, l'intérêt du BCG n'apparaît plus si évident que ça. Les États-Unis ou le Canada ne recommandent pas le BCG (références [2] et [3]). Selon le CDC, pour les enfants, le BCG n'est jamais recommandé, sauf dans les cas des enfants vivant dans un milieu tuberculeux, et dans ce dernier cas, seulement si aucune autre solution n'est possible. Pour le Canada, le BCG est recommandé aux groupes à risque, les enfants vivant dans l'entourage de malades mal soignés, généralement les Inuites et des Amérindiens vivant dans les réserves.

Quant à l'OMS, elle a publié un document faisant le point sur le BCG [1] ; elle ne peut en aucun cas être soupçonnée de faire partie d'un lobby anti-vaccinal, elle en est au contraire de manière générale un partisan convaincu. Dans cette synthèse de différentes études, on s'aperçoit que la question reste très controversée sur certains points. Selon ce document, un consensus semble se faire sur le fait que le BCG est relativement efficace pour la prévention chez les enfants des formes graves de tuberculose (TB), cependant rares (méningite tuberculeuse, tuberculose miliaire), mais le BCG est plutôt inefficace pour la prévention chez les adultes (« Despite the massive use of BCG vaccines for many years, it is difficult to demonstrate their effect on tuberculosis morbidity in national or population statistics. », p. 25). Les revaccinations des sujets tuberculino-négatifs sont considérés comme infondées, et l'OMS recommande de ne pas les pratiquer. De très nombreux points restent mal connus : le mode d'action du BCG, la durée de la protection sont inconnus, les résultats contradictoires des différentes études restent inexpliqués, les différences entre les diverses souches utilisées par les fabricants de vaccin ont des conséquences inconnues.

Pour essayer de tirer au clair les résultats controversés du BCG, une étude à grande échelle a été menée en Inde en 1968 en collaboration avec l'OMS, avec deux des principales souches de vaccin. Les résultats ont été publiés en 1979 (onze ans après !). À la surprise teintée de dépit de l'OMS, cette étude, qui ne portait que sur la protection des adultes, n'a pas mis en évidence de résultats probants attribuables au BCG (document [1], p. 6 « revealed no evidence that either vaccine had imparted any convincing protection against pulmonary tuberculosis »). L'OMS s'est donc fait une opinion sur le sujet, elle ne va pas jusqu'à recommander d'abandonner le BCG systématique, mais indique seulement que de nombreux pays développés l'abandonneront. C'est effectivement le cas de la Suède et de l'Allemagne qui ont supprimé l'obligation vaccinale (en 1975 et 2000 resp.).

Mais les incertitudes entourant ce sujet permettent à l'État français de camper sur ses positions. La France continue à imposer le BCG parce qu'il n'y a pas de raison importante de changer la législation (et qu'il y a de bonnes raisons, économiques ou politiques, et non sanitaires, de les conserver ; le BCG participe au prestige français, et la France ne l'abandonnera que contrainte et forcée. Comment exporter le BCG s'il n'est pas reconnu indispensable en France ?).

Pour l'OMS, si le BCG sauve des enfants, il apparaît n'avoir aucune influence sur l'incidence de la tuberculose (la régression de la maladie au cours du XXe siècle est principalement due à de meilleurs traitements et à l'amélioration des conditions d'hygiène, elle a d'ailleurs commencé avant l'usage du BCG - c'est l'OMS qui le dit). L'OMS lui reconnaît par ailleurs quelques risques et inconvénients. Pour lutter contre la recrudescence actuelle de la maladie, due à des conditions de vie dégradées dans certains pays, ou au SIDA, l'OMS préconise (surtout dans les pays en voie de développement) un programme de surveillance et de traitement (programme DOTS), et ne donne aucun rôle au BCG.

Le BCG a peut-être été utile à une époque où on ne possédait pas de médicaments efficaces pour soigner la tuberculose (mais cela-même est peu vraisemblable, le BCG a été rendu obligatoire en France en 1949, alors que des antibiotiques efficaces étaient déjà disponibles et rendaient de fait le BCG presque inutile). Mais une chose est sure : personne ne peut affirmer que le BCG est un vaccin indispensable ou même utile à la population aujourd'hui, sauf dans des cas particuliers. Citation du document [3], canadien : « Le vaccin BCG est homologué pour la prévention de la tuberculose dans les groupes suivants : les personnes qui sont exposées de façon répétée à une TB active non traitée ou non adéquatement traitée; les communautés ou groupes de personnes présentant des taux élevés d'infection, notamment les enfants des Premières nations, les enfants métis et inuits lorsque d'autres mesures de lutte se sont révélées inefficaces; les travailleurs de la santé qui risquent fortement d'être exposés à une infection pulmonaire tuberculeuse non reconnue ou qui manipulent le bacille tuberculeux ou des échantillons potentiellement infectieux dans un laboratoire; et les nouveau-nés dont la mère souffre d'une infection tuberculeuse au moment de l'accouchement (bien qu'on administre de préférence la prophylaxie à l'isoniazide (INH) pour éviter la séparation de la mère et du nourrisson qui est nécessaire lorsque le vaccin BCG est utilisé) ». On y apprend que depuis 2002, même la vaccination des nourissons des Amérindiens et Inuits est en voie d'abandon. L'obligation française concernant le BCG est donc un abus de pouvoir caractérisé de l'État, justifié par des mensonges officiels contredits par les études internationales, et contraire aux recommandations de l'OMS.

(paragraphe ajouté en septembre 2002) La facilité à se procurer des documents étrangers sur le BCG, dont ceux de l'OMS que la France peut difficilement contester, rend la position française de moins en moins tenable. Des instances officielles commencent à mettre en question la pratique de la revaccination et à envisager de limiter la vaccination aux situations à risque, voir le rapport de l'IVS [4]. Un journal comme La Recherche a publié en septembre 2002 un dossier intitulé « Faut-il supprimer le BCG ? », dans lequel des chercheurs ne craignent pas d'exposer leur point de vue négatif sur cette vaccination. L'Académie de Médecine et des associations médicales professionnelles de pédiatrie demandent à l'État de changer la réglementation, en vain jusqu'à présent. Il est donc vraisemblable que l'obligation en sera supprimée dans un délai plus ou moins proche, mais il aura fallu plusieurs dizaines d'années pour vaincre l'inertie de l'appareil d'État et appliquer les recommandations internationales. Une farce lamentable. Dans l'attente, toute personne refusant la vaccination pour ses enfants reste en théorie passible de lourdes sanctions (ordonnance du 15 juin 2000 : six mois de prison et 25 000 francs d'amende).

Avertissement : Cette page ne parle que du BCG. Ne rien en déduire sur les autres vaccins. Certaines personnes ont des positions générales sur les vaccins : certains sont pour les vaccins et leur attribuent toutes sortes de prouesses, d'autres contre les vaccins et les accusent de tous les maux ; les uns comme les autres ont la prétention d'émettre une vérité de portée générale. De telles positions ne peuvent être qu'idéologiques, du domaine de la foi. On ne peut pas raisonnablement avoir d'opinion globale sur les vaccins parce qu'ils protègent contre des risques variés, dus à des maladies très diverses et sont très différents les uns des autres (dans leurs principes d'action, et méthodes d'élaboration). La seule position raisonnable est de considérer que tel vaccin est justifié dans tel ou tel cas, comme pour n'importe quel médicament. La position consistant à être pour les vaccins (pour tous les vaccins obligatoires ou recommandés) pourrait se justifier par le fait qu'on fait confiance aux experts qui ont évalué chacun d'entre eux. Mais le cas du BCG indique précisément que cette confiance est alors mal placée, au moins dans le cas de certains experts. La position consistant à être contre les vaccins en général, parce qu'une vaccination consiste à immiscer de force un produit non anodin dans un corps sain peut se comprendre. Une autre justification de l'opposition aux vaccins est l'application du principe de précaution : ne pas utiliser des produits dont les effets ne sont parfois connus et compris que très partiellement (c'est le cas du BCG, malgré 80 années d'utilisation). Mais ce n'est qu'une opinion personnelle, un pari, ce n'est pas un jugement sur la valeur des vaccins. Dans le cas de certaines maladies, ce pari risquerait de se révéler hasardeux.

Références

[1] Issues relating to the use of BCG in immunization programmes, par l'OMS (en anglais, document PDF)
[2] Recommandations du CDC sur le rôle du BCG dans la prévention de la tuberculose (CDC: Center for Disease Control, centre américain de surveillance des maladies) (en anglais)
[3] Déclaration concernant le BCG par l'agence de santé publique du Canada
[4] Impact épidémiologique d'une modification de la politique de vaccination par le BCG en France Rapport de l'IVS (Institut de veille sanitaire)

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Dernière modification: 11/03/2006